Retour sur l’édition 2024 des Rencontres de la Médecine Spécialisée, organisées par Avenir Spé. Les Docteurs Emmanuel Plat et Roman Senamaud, cofondateurs de Domoplaies Nouvelle-Aquitaine, avaient été invités à présenter leur modèle d’organisation innovant pour la prise en charge des plaies chroniques.
🎬 L’interview a été tournée quelques mois avant le changement de nom officiel du projet, alors encore intitulé Plaietile, devenu depuis Domoplaies Nouvelle-Aquitaine.
Issu et largement inspiré de l’expérimentation Article 51 Domoplaies Occitanie, ce modèle régional vise à structurer un appui territorial pour les soignants de premier recours, en combinant téléexpertise, téléconsultation assistée à domicile et coordination de parcours.
Cet entretien filmé revenait sur la genèse du projet, les innovations organisationnelles mises en œuvre et la place centrale de la télémédecine dans la réponse aux besoins du terrain.
Un an plus tard, Domoplaies Nouvelle-Aquitaine reste un service d’appui pleinement opérationnel, reconnu pour son rôle dans l’amélioration de la coordination des soins et de la qualité de vie des patients.
Mais comme le rappelaient déjà les cofondateurs en conclusion de cette interview, les enjeux de financement et le passage au droit commun restent aujourd’hui le principal défi à relever, malgré la validation de la généralisation nationale du modèle Domoplaies début 2025.
Pouvez-vous nous présenter Domoplaies Nouvelle-Aquitaine et le contexte de sa création ?
Emmanuel Plat, Roman Senamaud — Nous sommes cofondateurs de l’équipe de soins spécialisés Domoplaies Nouvelle-Aquitaine, ESS en plaie cicatrisation.
En préambule, il est important de contextualiser l’environnement de la plaie chronique, une entité nosologique très vaste au carrefour de nombreuses spécialités. Le coût pour la collectivité, de plusieurs milliards d’euros par an, est en réalité très mal évalué : les évaluations sont complexes à mener et les activités qui y sont liées sont encore trop peu valorisées.
Aujourd’hui, les professionnels de santé, notamment de premier recours, font face à de nombreuses difficultés dans la prise en charge de leurs patients atteints de plaies chroniques.
Nous avons créé l’association Domoplaies N-A après avoir identifié trois grandes problématiques :
un manque de formation initiale sur le traitement des plaies chroniques ou complexes, chez les médecins comme chez les infirmiers ;
des inégalités territoriales d’accès aux soins, renforcées par un manque de lisibilité de l’offre en plaie et cicatrisation ;
des difficultés de coordination entre les professionnels et les centres, liées à la transversalité de cette prise en charge.
Comment Domoplaies Nouvelle-Aquitaine a-t-elle réussi à innover dans la prise en charge des plaies chroniques ?
En premier lieu, Domoplaies N-A est innovant d’un point de vue organisationnel. Il s’agit d’un nouveau modèle d’organisation professionnelle qui apporte une réponse adaptée et cohérente aux soignants — notamment les médecins généralistes et les infirmiers libéraux — confrontés à des situations complexes à domicile.
Nous nous appuyons sur quatre volets organisationnels :
un guichet numérique unique, basé sur une solution de télé-expertise régionale ;
un noyau d’acteurs dédié à l’appui et à la coordination des parcours ;
des interventions en télémédecine (télé-expertise, téléconsultation assistée à domicile, télé-assistance médicale), assurées par des professionnels qui partagent du temps au service en plus de leur activité habituelle ;
des partenariats avec les centres de cicatrisation et les établissements de santé, dans une logique de parcours gradué et territorialisé.
Quelles sont les principales collaborations établies avec d’autres acteurs de santé ?
L’équipe fédère plusieurs professionnels de santé :
des infirmiers experts en plaie cicatrisation, titulaires d’un DU et délégués par des médecins via un protocole de coopération nationale ;
des médecins de différentes spécialités : vasculaires, dermatologues, gériatres, chirurgiens orthopédiques…
Ces professionnels interviennent en télémédecine directement sur le lieu de vie du patient.
Parallèlement, nous formalisons des partenariats avec les CPTS et d’autres organisations de ville, afin de proposer un parcours clé en main en plaie cicatrisation. Ces parcours intègrent les ressources locales existantes et s’articulent avec les structures de recours — hôpitaux et cliniques privées notamment.
En quoi la télémédecine a-t-elle révolutionné votre activité ?
En quoi la télémédecine a-t-elle révolutionné votre activité ?
La télémédecine est un outil formidablement bien adapté à la plaie chronique.
La télé-expertise permet une première approche du patient et de son contexte global, en identifiant les facteurs de complexité à intégrer dans la prise en charge. Nous répondons en moins de 48 heures ouvrées.
La téléconsultation assistée permet de compléter cette évaluation, de voir le lieu de vie, de créer un lien avec le patient et les soignants de premier recours, et même de guider à distance la réalisation de certains gestes.
Le principal défi est d’amener les soignants à franchir le cap de leur première téléconsultation. Mais une fois cette étape passée, 90 % d’entre eux refont appel à notre service.
Comment votre action améliore-t-elle la qualité de vie des patients ?
Les patients que nous prenons en charge sont souvent âgés, fragiles, polypathologiques et dépendants.
Les soigner sur leur lieu de vie permet d’éviter les transports, le stress des déplacements et les hospitalisations non programmées.
Ces interventions permettent également de réduire les délais de cicatrisation et d’améliorer le confort de vie.
Une évaluation médico-économique a estimé à environ 11 000 € l’économie réalisée par patient suivi dans ce modèle.
Quelles sont les perspectives et les défis pour Domoplaies Nouvelle-Aquitaine ?
Nous croyons à l’évolution vers plus de coopération entre professionnels de santé, via l’exercice coordonné et la délégation de compétences.
Ce modèle est transposable à d’autres territoires et permet de rendre le système de santé plus efficient tout en réduisant les coûts.
Le principal frein reste aujourd’hui le financement : bien que les bénéfices soient démontrés, les moyens humains nécessaires à la coordination et au déploiement restent sous-dotés.
Notre objectif est de poursuivre le développement régional de Domoplaies et de consolider ses fondations économiques pour pérenniser ce modèle d’appui aux soignants.


